COMPTE RENDU DU SÉJOUR EN BIRMANIE
(14 décembre 2016 - 10 janvier 2017)

En marche vers la modernité.
Sous la dictature militaire, la contradiction n'a jamais été résolue entre la philosophie non violente du bouddhisme (dans sa version birmane "theravada", dont le régime se réclamait), et un recours à la violence quotidienne qui se traduisait par des pratiques hautement répréhensibles, en particulier à l'égard des minorités civiles non birmanes. Après des années de vicissitudes cruelles pour les opposants, comme pour le peuple dans son ensemble, le vent de liberté ravivé par la " Révolution Safran" de 2007, au cours de laquelle des milliers de moines bouddhistes ont manifesté pacifiquement pour dénoncer la dictature honnie, après le raz-de-marée du "Printemps birman" de 2012, la dictature a commencé à baisser les bras. Phagocytée économiquement par la Chine, étouffée par les sanctions et les embargos occidentaux, la junte militaire au pouvoir a amorcé un changement de politique dont le signe le plus spectaculaire s'est matérialisé par la libération d'Aung San Suu Kyi, en résidence surveillée depuis de 20 ans. L'ex-général Thein Sein est "miraculeusement" devenu "président civil". Celui-ci a certes entamé des dialogues avec des ethnies insurgées, mais cette mesure louable en soi a eu dans plusieurs régions du pays pour effet l'ouverture d'une "boîte de Pandore", ainsi que nous avons pu l'observer dernièrement dans l'État shan. 
Néanmoins, il ne fait aucun doute que le symbole le plus puissant du dégel voulu par Thein Sein reste la légalisation du parti d'opposition de Suu Kyi, la "Ligue Nationale pour la Démocratie" dont les candidats ont remporté la quasi-totalité des 45 sièges à pourvoir. Un bémol, toutefois, sur la route de la démocratisation : la Constitution prévoit que le président ou la présidente doit avoir une expérience militaire, également que ni son conjoint, ni ses enfants, ni même les conjoints de ceux-ci ne doivent avoir la nationalité d'un autre pays. C'est ainsi que Suu Kyi, devenue ministre des Affaires étrangères, n'a pu accéder à la magistrature suprême car, étant la veuve d'un citoyen britannique, ses deux fils sont de même nationalité que leur père. Le précédent régime a donc refusé de les reconnaître comme citoyens birmans. Malheureusement, bien que Thein Sein se soit prononcé en faveur d'une modification de la Constitution qui permettrait à tout citoyen d'accéder à la présidence du pays, l'actuel chef de l'État n'a qu'une emprise limitée sur le Parlement, encore aux mains du vieux "Parti de l'Union pour le Développement de la Solidarité" et de l'armée.
Néanmoins, à moins que le paysage politique birman ne subisse un "retour de manivelle" dans l'avenir proche, nous pouvons nous attendre à ce que le nouveau parti récemment accédé au pouvoir (ne laissant à l'oppostion que 8 % des sièges au Parlement) parvienne à relever au moins quelques-uns des défis suivants :
-- liberté totale d'expression ;
-- paix entre les différentes ethnies ;
-- libre accès à l'ouverture de comptes en banque ;
-- téléphones portables et smartphones à des prix de plus en plus dérisoires ;
-- un minimum d'allocations retraites ;
-- petite allocation attribuée aux femmes enceintes ;
-- création d'un véritable système d'égouts dans les villes (mesure dont l'urgence n'est pas à démontrer : la vue des cloaques béants le long des trottoirs de Rangoun en dit suffisamment long !).
Dernières nouvelles : triste événement qui est un obstacle de plus vers la démocratie ! Le 29 janvier dernier, le juriste Ko Ni, conseiller musulman de Suu Kyi, a été assassiné à l'aéroport de Rangoun. Celui-ci parlait régulièrement de la nécessité de l'harmonie religieuse et travaillait à un texte législatif pour criminaliser les discours de haine qui se propagent dans le pays. Sa fonction auprès du nouveau gouvernement était de remplacer (tout au moins amender) la constitution de 2008 qui garantit aux militaires un contrôle sur la politique. Crime politique ou raciste ? La question reste en suspens.
Malgré impatiences, frustrations, déceptions, revers déjà apparus notamment dans le domaine inter-racial (essentiellement dans la province occidentale de l'Arakan, au sujet du traitement réservé à la communauté originaire du Bangladesh), il ne fait pas de doute qu'il règne dans le pays un grand espoir. Certes, la tâche est rude et le chemin choisi par la "Dame de Rangoun" est jonché d'embûches, comme le souligne très justement Timothy Garton Ash, universitaire d'Oxford : "Suu Kyi doit désormais assumer une peine à perpétuité en politique, qui sera inévitablement semée d'autant de compromis que de victoires".

Les divers lieux de soutien humanitaire

I°.Dans le delta de l'Irrawaddy, l'association "Irrawaddy Homeland".


1-- Cette année, nous avons décidé de rencontrer les élèves de l'école de brousse avant les vacances de Noël afin de pouvoir engager un véritable échange avec les aînés et assister à l'enseignement dispensé par des méthodes modernes en application depuis plusieurs années. Nous avons été impressionnés par la qualité de leur anglais oral qu'ils maîtrisaient fort bien dans leur ensemble. Benjamin, le regard réjoui, nous a expliqué que l'une des premières réformes du gouvernement démocratiquement élu a été réalisée dans le domaine de l'enseignement en rendant légales les écoles privées à travers le pays. Quand on songe que l'école de brousse fondée par Benjamin fonctionne depuis de nombreuses années, sans aide financière de l'Etat, gratuitement pour tous les élèves, et dans la clandestinité la plus complète, cette libération du système éducatif fait l'effet d'une véritable consécration.
D'autre part, nous avons eu le plaisir d'assister au repiquage des plants de riz dans la plaine par des élèves de cette école de brousse ; cette opération avait également un but éducatif : initier les adolescents à la culture du riz.


2 -- Au foyer de la ville de Myaungmya le nombre de pensionnaires s'est réduit depuis que certains ont atteint l'âge adulte, et que d'autres sont retournés dans leur région d'origine, plus au sud dans le delta, où les conditions matérielles se sont considérablement améliorées depuis 2008, l'année de la catastrophe due au cyclone Nargis. Heureusement que l'effectif du foyer est moindre parce que l'année écoulée s'est avérée économiquement désastreuse !La plupart des porcs ont dû être abattus en raison d'une épidémie ; par ailleurs, la récolte de riz à été très réduite à causes d'inondations trop abondantes dues aux pluies diluviennes persistantes.


3 -- Les deux résidences universitaires à Pathein (un foyer pour étudiants, un autre pour étudiantes). 
Grâce à l'apport de MAP, les 22 étudiantes et les 7 étudiants, étant logés sur place, peuvent suivre l'enseignement directement à l'université de Pathein. Benjamin demande à leurs parents la somme de 20 $ par mois pour couvrir le supplément de frais d'études, d'hébergement et de nourriture. Néanmoins, les parents qui se trouvent dans la gène financière en sont exemptés.


4 -- Petite Commune de Kanazogone ( que nous avions visitée l'an passé) : poursuite de notre modeste soutien financier à la pharmacie paroissiale.

II ° Si Kar, district de Mandalay.
Comme chaque année, nous avons assisté aux célébrations des fêtes du Nouvel An auxquelles participent tous les représentants des religions des différentes régions du pays, dans un effort renouvelé de paix et d'harmonie entre groupes religieux, à l'instigation du moine bouddhiste Didalou, à la tête du monastère proche du village. Saluons à ce sujet son mérite, d'ailleurs désormais reconnu hors des frontières : il a en effet reçu l'an passé une distinction particulière du Comité du Prix Nobel de la paix à Oslo, ce qui a eu pour conséquence heureuse de gagner le respect de beaucoup de ses compatriotes. Son exemple fait de plus en plus d'émules qui sont chacun en particulier une lumière d'espoir dans un paysage racial par endroits inquiétant par ses outrances d'intolérance.
Le centre médical
(fondé par l'association "The Light of Asia").
L'apport financier annuel de MAP correspond actuellement à un quart des besoins en médicaments. Par ailleurs, nous avons pu remarquer combien était utile l'ambulance (acquise grâce en partie à un don de MAP il y a quelques années) : entre le transport des femmes sur le point d'accoucher, les malades graves et les accidentés de la route, ce véhicule est rarement à l'arrêt.
Lors de notre visite à la clinique, nous avons assisté au travail d'un spécialiste des maladies pré-natales qui examinait par ultra-sons les foetus à quelques semaines de la naissance des bébés. Le médecin généraliste nous a tenus au courant du fonctionnement de la clinique au cours de l'année écoulée.
L'école primaire du voisinage, fondée par la même association, secondée également par MAP, accueille des enfants nouvellement réfugiés du nord de l'État shan. Elle leur dispense une instruction particulièrement adaptée aux élèves qui n'ont pas reçu auparavant d'enseignement officiel. C'est ainsi que nous avons été surpris de les voir lire, écrire et dessiner, allongés sur des tapis ; il nous a été expliqué que dans un premier temps il était préférable qu'ils retrouvent des conditions semblables auxquelles ils étaient habitués -- les écoles dans le nord de la province étant exempts de bancs d'écoliers.

III ° Le Couvent Saint-Joseph à Lashio.
N'ayant pu nous rendre à Lashio comme l'an passé, nous avons été reçus par Soeur Thérèse au noviciat de Pyin Oo Lwin. Celle-ci se trouvait en compagnie de la petite Florence, qui bénéficie d'un parrainage en tant 
qu'orpheline de père, et vivant avec sa maman sans ressources. Toute fière d'avoir reçu le prix d'excellence, elle ne cachait pas sa joie en tenant bien fermement le certificat dûment encadré de sa distinction.
Quant à Lucy, la jeune fille bénéficiant aussi d'un parrainage, elle vient d'entamer la dernière partie de ses études d'anglais et d'informatique dans un centre nouvellement établi et employant des méthodes modernes d'enseignement. Ses progrès dans la pratique de l'anglais ont forcé notre admiration.

IV ° Le village de Naan Po au nord de Hsipaw.
(Cette partie du compte rendu se présente sous une forme narrative parce qu'elle est extraite du carnet de voyage rédigé sur place au fil des jours).




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PARLEZ-VOUS LISSOU ?


Cette année, une "aventure" nouvelle nous attendait le jour de Noël.
Dimanche 25 décembre
Après un trajet en train assez éprouvant en raison des mille et une secousses, nous nous sommes arrêtés à Hsipaw, petite ville, point de départ de treks dans les collines environnantes. La route pour Lashio n'étant plus sécurisée ces derniers temps, ainsi que les alentours de Hsipaw (bien que les conditions de sécurité changent presque d'un jour à l'autre), nous avons préféré nous arrêter ici quelques jours, les chauffeurs de taxi collectifs ayant refusé de traverser une zone dangereuse. Voulant connaître la situation présente des réfugiés fuyant les guerres incessantes entre les soldats rebelles et ceux du pouvoir central, nous nous sommes dirigés vers le centre "Don Bosco" , à deux pas de notre hôtel. Le père Henri, quadragénaire au doux sourire asiatique, en charge de la paroisse, a prêté attention à notre souhait de fournir des médicaments de base dont sont totalement dépourvus les réfugiés récents, victimes des rivalités fratricides entre ethnies rivales, par rapport à l'épineuse question politique de "fédération" (qui avait été promise par le général Aung Sang à la veille de l'Indépendance, peu de temps avant son assassinat). Le hasard ne pouvait pas mieux faire les choses car le père Henri revenait justement de célébrer la messe de Noël dans un village de l'arrière-pays peuplé exclusivement de Lissous. Cette bourgade, nommée "Paan Mo", venait d'accueillir cinquante réfugiés d'un village animiste de la même ethnie lissou (l'une des 135 ethnies en Birmanie, officiellement reconnues par le gouvernement), manquant de tout minimum vital. Le père Henri, tout en accueillant avec joie la perspective de fournir des médicaments à ces villageois, a insisté sur le fait que ces réfugiés ont l'estomac creux, et que c'est par conséquent le riz qui constitue la priorité. À la suite d'une assez longue discussion, nous sommes tombés d'accord sur la constatation élémentaire que le premier des "médicaments" était sans nul doute un bol de riz, car comment parvenir à guérir un corps famélique ?
Lundi 26
Le père Henri nous conduit à la pharmacie du quartier, où nous avions décidé de nous procurer des médicaments de premier secours. Le pharmacien, d'abord tout en retenue, entouré de petites demoiselles plus souriantes que lui (telle une myriades de colibris bariolés tourbillonnant autour d'une imposante fleur de lotus), s'est montré de plus en plus coopératif par ses conseils quant aux produits susceptibles de faire face aux besoins pharmaceutiques les plus courants.
Mardi 27
Nous voici partis (en compagnie de deux prêtres et d'un frère) pour le village en question où nous sommes les premiers "visages pâles" à venir rencontrer les habitants. Heureusement, le village n'est qu'à une heure de route parce qu'au-delà de la petite agglomération, la route est coupée par les forces rebelles, rendant impossibles les communications avec la Chine, alors que c'était le seul débouché pour les rares céréales qui, grâce à l'exportation, constituaient l'unique source de revenu de tous les villages alentour. Sous les hangars, nous remarquons avec tristesse les innombrables sacs de grains de maïs qui sont peu à peu dévorés par les insectes. 
À notre arrivée, l'accueil est timide, mais bienveillant. Manifestement, nous étions annoncés : si les hommes travaillaient aux champs, les femmes étaient au rendez-vous sous le préau de la case du chef du village, d'un côté les femmes du lieu, et de l'autre, serrant tendrement leur bébé dans leurs bras, les mamans animistes, impavides, reconnaissables à leur coiffure caractéristique des peuplades montagnardes. Les deux prêtres extraient du pick-up les sacs de riz et les cartons provenant de la pharmacie. Avec tact et discrétion, le père Henri rompt vite la glace ; grâce à son intermédiaire, un véritable échange verbal s'établit assez rapidement, sur un ton d'un calme impressionnant.
Après avoir pensé à la chapelle comme lieu pour entreposer le matériel médical, il est convenu dans un premier temps de les déposer dans la maison du chef du village. Ensuite s'est posée la question de l'emploi correct de ces médicaments de base. Un triste événement récent a posé avec encore une plus grande acuité la question du manque extrême de soins médicaux et de matériel des plus élémentaires : un bébé de trois mois s'étouffait à cause d'une trop grande abondance de mucus dans la gorge. Après avoir été transporté à l'hôpital de Hsipaw, il n'a pas survécu car l'établissement ne possède pas le simple appareil prévu pour dégager la trachée.
Un fois rentrés à Hsipaw, nous avons pris conscience de la nécessité absolue d'initier une jeune fille du village à la pratique des premiers secours. Le père Henri se propose de s'informer sur le montant d'un premier cours de trois mois auprès de l'école d'infirmières basée à Lashio.
Mercredi 28
Dernière rencontre avec le père Henri. Par bonheur, il nous reste suffisamment de fonds pour régler les frais d'études, le vivre et le couvert, y compris deux uniformes de rigueur. Le cours doit commencer en avril 2017. Dans la mesure où la jeune fille qui va être sélectionnée aura donné satisfaction, nous promettons pour l'année prochaine de faire notre possible afin que celle-ci, obtenant le diplôme birman d'aide-soignante après trois mois supplémentaires, soit mieux à même de prêter secours aux villageois dont elle aura la responsabilité médicale, en relation téléphonique avec un médecin de Hsipaw.
Le père Henri était "aux anges", nous confiant son souci constant de la santé physique de ses paroissiens habitant loin de la ville. Depuis peu son souci s'est encore aggravé par l'arrivée des réfugiés animistes auxquels il doit assistance, sous forme de survie pure et simple. Nous nous sommes séparés, non sans avoir évoqué la construction d'une case dans le village, embryon éventuel d'une minuscule clinique, dans un avenir encore incertain.


EN RÉSUMÉ
Cette fois encore, nous avons été rassurés de constater que les personnes en qui nous avons placé notre confiance s'en sont montrés dignes : intégrité, dévouement, tout comme engagement personnel total.
La répartition de l'aide financière de MAP s'établit comme suit :
-- Etudiant(e)s à l'Université de Pathein 
Frais d'études 4 000 €
Bibliothèque pour étudiants 75 €
-- Pharmacie de Kanazogone 100 €
-- médicaments pour la clinique de Si Kar 2 000 €
--Couvent Saint-Joseph à Lashio
Parrainage Florence 240 €
Parrainage Lucy 300 €
-- Village de Naan Po
Médicaments de base, de premiers secours,
et deux sacs de riz 200 €
Frais de formation pour aide-soignante (3 mois) 360 €
3 mois supplémentaires 325 €

TOTAL DE L'AIDE FINANCIÈRE 7600 €